Avril 2021
Chers amis de la Confraternité,
"Il est venu chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçu". Les prêtres à l'autel chaque jour relisent cette phrase de saint Jean à propos du Seigneur. Et c'est là un peu tout le drame de l'Incarnation. Plus encore, non seulement le Christ n'a pas été reçu, mais il a été crucifié par ceux qu'il venait sauver.
C'est pourquoi ne soyons jamais étonnés de l'ingratitude ou de la non-reconnaissance sur terre. Nous en avons été nous-mêmes les instruments pendant la Passion envers Notre-Seigneur, et nous le sommes encore bien souvent envers notre prochain (parfois sans nous en rendre compte, parce qu'il faut de l'humilité pour voir le tort de son côté). Il est donc un peu normal que nous en soyons nous-mêmes parfois les victimes. D'autant plus que nous devons suivre la voie tracée par le Christ. "Soyez les imitateurs du Christ" nous dit saint Paul.
Mais maintenant, posons-nous la question de savoir si nous réagissons toujours comme le Seigneur Jésus l'a fait et comme il nous invite sans cesse à le faire ? Rendre le bien pour le mal, est-ce toujours notre premier reflexe... ou le deuxième... ou même le troisième ? Ne pas haïr ? Ne pas mépriser ? Là encore, ce n'est pas du tout évident dans la vie de tous les jours.
"Bénissez, ne maudissez pas", nous dit toujours le même saint Paul. "Aime celui qui te repousse" disait encore le Bienheureux Vladimir Ghika que nous citions déjà le mois dernier.
Appliquons cela à notre situation de fidèle (ou prêtre) attaché à la liturgie latine traditionnelle.
Parfois, l'un ou l'autre d'entre nous est agacé bien légitimement par un accueil dans l'Eglise ici ou là assez limité envers "notre sensibilité traditionnelle" ; ou encore par des conditions souvent compliquées ou étriquées données à la célébration de la forme extraordinaire du rit romain à tel ou tel endroit. Il faut pourtant, pour être juste, replacer ces difficultés actuelles dans un contexte historique et voir le beau chemin parcouru. Car la situation en 2021, pour ce qui touche la forme extraordinaire du rit romain, est bien meilleure qu'elle ne l'était à la fin du siècle dernier. Et de cela nous devons rendre grâces.
La famille liturgique traditionnelle qui est la nôtre a été, pour être rapide, depuis le dernier Concile tout d'abord méprisée, puis très timidement tolérée, et enfin reconnue et acceptée.
La messe que nous aimons fut en effet "dans les faits" tout simplement interdite au commun des prêtres ; c'est historique ; la notification de la Congrégation du culte divin du 14 juin 1971 ordonnait : ceux qui continueront à user du latin devront utiliser uniquement les textes rénovés, tant pour la Messe que pour la liturgie des heures. Ceux qui, en raison de leur âge avancé ou d’une infirmité, éprouvent de graves difficultés à observer le Nouvel ordo du Missel romain, du lectionnaire de la Messe, ou de la liturgie des Heures, pourront, avec l’autorisation de leur Ordinaire, et seulement dans les célébrations sans peuple, continuer à utiliser en totalité ou en partie le Missel Romain selon l’édition typique de 1962, modifié par les décrets de 1965 et 1967. Notification faisant loi et rappelée par le Pape Paul VI sans aucun bémol le 24 mai 1976 aux Cardinaux réunis en Consistoire.
Puis, après quinze années de ce régime, la messe dite de saint Pie V, qu'on avait tout fait pour faire disparaitre mais qui ne disparaissait pourtant pas (car elle eut de courageux et méritants défenseurs auxquels on doit beaucoup), fut très très très timidement permise en 1984, avant de l'être plus ouvertement en 1988 et plus grandement encore finalement en 2007 par le biais du Motu proprio Summorum pontificum. Pour résumer encore une fois en quelques lignes une longue histoire douloureuse dont encore aujourd'hui il est difficile de comprendre le pourquoi d'un tel ostracisme historique.
Le Pape Jean-Paul II en 1988 fut le premier à réouvrir la porte à cette liturgie traditionnelle : On devra partout respecter les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine, et cela par une application large et généreuse des directives données en leur temps par le Siège apostolique pour l'usage du Missel romain selon l'édition typique de 1962. (Motu proprio Ecclesia Dei).
Pouvons-nous dire qu'aujourd'hui, 33 ans après ce Motu proprio de Jean-Paul II, et 14 ans après celui du pape Benoît XVI, "les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine" sont reconnues et accueillies par tous dans l'Eglise avec bienveillance ? Que les prêtres liés aux communautés attachés à la forme extraordinaire sont acceptés et reçus les bras ouverts ? Non. Ou du moins pas partout. Il existe encore beaucoup de réticences, de craintes, de défiances, de malentendus sans doute mais aussi tout simplement de jalousies humaines. Car c'est vrai, il est toujours possible (pour ne pas dire que c'est souvent le cas) de considérer les communautés dites Ecclesia Dei comme des "concurrentes" au lieu de les voir comme d'humbles composantes de l'Eglise au service de l'Eglise.
Le Pape Jean-Paul II avait discerné très justement que cette vision un peu jacobine ou partisanne (très humaine finalement, car nous sommes tous un peu de mal à ouvrir notre porte au prochain) était une des racines concrètes de la non ouverture alors existante envers la liturgie traditionnelle ; c'est pourquoi il affirmait dans son Motu proprio avec fermeté : tous les pasteurs et les autres fidèles doivent aussi avoir une conscience nouvelle, non seulement de la légitimité, mais aussi de la richesse que représente pour l'Eglise la diversité des charismes et des traditions de spiritualité et d'apostolat. Cette diversité constitue aussi la beauté de l'unité dans la variété: telle est la symphonie que, sous l'action de l'Esprit-Saint, l'Eglise terrestre fait monter vers le ciel.
Mais il faudra encore bien du temps. Et beaucoup d'humilité.
Encore une fois, malgré les réticences et méfiances encore existantes, nous nous devons d'être positifs et voir le beau chemin parcouru car l'accueil est d'une manière générale incomparablement plus ouvert aujourd'hui qu'hier. Et cela ne peut que nous réjouir et nous faire rendre grâces. A Dieu tout d'abord encore une fois. Mais aussi à tous ces évêques qui, concrètement depuis 1988 ont su accueillir -parfois d'ailleurs très courageusement- notre petite Fraternité dans leurs diocèses pour y travailler au bien des âmes.
Tâchons enfin, quand nous nous estimons lésés ou non respectés, de toujours cependant répondre par la charité (et la patience) car c'est à la charité qu'on reconnait la grandeur d'une oeuvre ; et c'est aussi par la charité qu'une oeuvre finit toujours par toucher les coeurs les plus fermés.
"C'est par la charité qu'il faut ébranler les murs de Genève" disait saint François de Sales à ses prévôts. "Je ne vous propose ni le feu, ni cette poudre dont l'odeur et la saveur nous rappellent la fournaise infernale Je n'organise pas un de ces camps dont les soldats n'ont ni la foi ni la piété [...] Voulez-vous une méthode facile pour remporter une ville d'assaut? [...] Il faut renverser les murs de Genève par des prières ardentes et livrer l'assaut par la charité fraternelle. C'est par cette charité que doivent frapper nos têtes de ligne."
La Fraternité Saint-Pierre a 33 ans. 33 années qui furent parfois mouvementées et humainement très incertaines.
Notre gratitude envers tout d'abord nos fondateurs s'étend à tous les fidèles qui nous ont soutenus patiemment depuis si longtemps dans des conditions d'apostolat parfois difficiles. Et parfois "encore" difficiles.
Elle embrasse enfin, car on garde le meilleur pour la fin, tous les membres de la Confraternité : c'est à dire à vous qui priez tous les jours aujourd'hui pour que notre petite Fraternité puisse servir toujours davantage l'Eglise. Humblement mais sûrement.
En vous souhaitant de saintes fêtes de Pâques par avance, soyez bien assurés de nos prières reconnaissantes. Après la Passion vient toujours la Résurrection. Les jours se font déjà plus longs et la nature refleurit. Puisse-t-il en être de même dans nos coeurs.
La messe à vos intentions ce mois-ci sera célébrée le jour de Pâques.
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