Le rêve d'un Cardinal

 


A partir de 550 Saben, cet endroit sur cette colline fut pendant un demi millénaire le siège épiscopal du diocèse de Brixen.

Depuis 1685, donc depuis plus de 300 ans, le château épiscopal est devenu un monastère dans lequel jusqu’à nos jours une communauté de sœurs bénédictines vit la maternité spirituelle, en priant et se consacrant à Dieu, justement comme le cardinal Nicolas de Cues l’avait vu dans son ‘rêve’.

 

Le cardinal Nicolas de Cues (1401-1464), évêque de Brixen, fut non seulement un grand politicien de l’Eglise, un légat du pape célèbre et un réformateur de la vie spirituelle du clergé et du peuple au XVème siècle, mais aussi un homme de silence et de contemplation.

Dans un ‘rêve’ lui fut montrée cette réalité spirituelle qui vaut encore aujourd’hui pour tous les prêtres et pour tout homme : la puissance de l’abandon, de la prière et du sacrifice des mères spirituelles dans le secret des couvents.

Nous pouvons penser à Benoît XVI disant en annonçant son renoncement au Souverain Pontificat: "Quant à moi, puissé-je servir de tout coeur, aussi dans l'avenir, la Sainte Église de Dieu par une vie consacrée à la prière."

                              

Des Mains et des Cœurs qui se sacrifient

 

« … Ils entrèrent dans une petite église séculaire ornée de mosaïques et de fresques des premiers siècles. Le cardinal eut alors une vision grandiose : des milliers de religieuses priaient dans cette petite église. Elles étaient si frêles et si recueillies qu’il y avait de la place pour toutes, bien que la communauté fut nombreuse. Les sœurs priaient, et le cardinal n’avait jamais vu prier avec une telle intensité. Elles n’étaient pas à genoux, mais debout, le regard dirigé non vers le lointain mais vers un point très proche de lui, qu’il ne pouvait pourtant pas voir lui-même. Leurs bras étaient ouverts et les mains tendues vers le ciel, dans une position d’offrande.

L’incroyable de cette vision est dans le fait que ces sœurs portaient dans leurs pauvres petites mains des hommes et des femmes, des empereurs et des rois, des villes et des pays. Parfois les mains enserraient une ville ; ou bien un pays, reconnaissable aux drapeaux nationaux, reposait sur un mur de bras qui le soutenait. Et même dans ces cas, chaque sœur était entourée de silence et discrétion. Cependant la plupart des sœurs portaient dans leurs mains un seul frère ou sœur.

Dans les mains d’une jeune et fragile religieuse, presque une enfant, le cardinal Nicolas vit le pape. On comprenait combien son fardeau lui pesait, mais son visage rayonnait de joie. Lui-même, Nicolas de Cues, évêque de Brixen, cardinal de l’Eglise romaine, reposait sur les mains d’une sœur âgée. Il se reconnaissait clairement, avec ses rides et les défauts de son âme et de sa vie. Il observait tout avec de grands yeux épouvantés, mais bientôt, sa frayeur laissait place à une béatitude indescriptible.

Son accompagnatrice, à ses côtés, chuchota : “Voyez comment sont soutenus et portés les pécheurs qui, malgré leurs péchés, n’ont pas cessé d’aimer Dieu’’. Le cardinal demanda :“Mais que se passe-t-il pour ceux qui n’aiment plus ?’’. Aussitôt, toujours accompagné de son guide, il se trouva dans la crypte de l’église où des milliers de sœurs priaient.

Alors que les premières sœurs soutenaient les personnes de leurs mains, celles-ci portaient leurs protégés dans leurs cœurs. Elles étaient profondément concentrées car il y en allait du destin éternel des âmes immortelles. “Voyez Eminence’’, fit remarquer sa conductrice, “c’est ainsi que sont soutenues les âmes qui ont cessé d’aimer. Parfois il arrive qu’elles se réchauffent à la chaleur des cœurs qui se consument pour elles, mais pas toujours. Quelquefois, à l’heure de leur mort, elles passent des mains de ceux qui veulent encore les sauver aux mains du Juge divin devant Lequel elles doivent se justifier, aussi pour le sacrifice offert pour elles. Aucun sacrifice ne demeure sans fruit, cependant qui ne cueille pas le fruit offert cultive le fruit de la ruine.’’

Le cardinal fixa les femmes victimes volontaires. Il avait toujours connu leur existence, mais ce qu’elles représentent vraiment pour l’Eglise et pour le monde, pour les peuples et pour chaque personne, ne lui avait jamais paru aussi évident qu’en cet instant. Et il s’inclina profondément devant ces martyres de l’amour. »